Basé sur l'analyse d'une eau fossile, une équipe de recherche franco-canadienne propose un nouveau scénario décrivant l'évolution de la composition chimique d'un océan terrestre primitif. Ces travaux sont publiés dans la revue Chemical Geology en Mars 2020.
Source de toute vie sur Terre, l’apparition de l’eau sur notre planète reste inconnue. Pour les scientifiques, des réponses peuvent se trouver dans la composition chimique des océans. En particulier leur composition en isotopes stables de l’hydrogène 1H et 2H – cet isotope ? lourd ? est aussi appelé ? deutérium ?. Savoir si cette composition a pu varier depuis la formation de notre planète, il y a environ 4,55 milliards d’années, est une donnée fondamentale pour comprendre l’origine de l’eau sur la Terre.
Dans ce but, une équipe de recherche franco-canadienne, impliquant des scientifiques du LGL – TPE [1] et du LEHNA [2], ont analysé des traces d’eau à l’état liquide préservées dans des microcavités, dites inclusions fluides, d’un minéral – la halite – qui se forme lors de l’évaporation de l’eau de mer.
Fragment de carotte sédimentaire provenant d’un forage profond (1,4 km) effectué en Australie Occidentale (Officer Basin). L’échelle est donnée par la pièce de monnaie de 2$ canadiens. Les cristaux de halite de couleur ambre foncé sont inclus dans des couches de silts gris (sables fins). Les roches ont un ?ge d’environ 800 millions d’années. Crédit : Nigel Blamey
Un enrichissement de l’océan en deutérium au cours du temps
Issus de forages profonds réalisés dans la cro?te continentale, des échantillons de halites ont été extraits de roches datant de 800 millions d’années (Officer Basin, Australie Occidentale) et 1,4 milliards d’années (Browne Formation, Ontario, Canada) – à l’ère du Protérozo?que. Les scientifiques ont alors réalisé des mesures isotopiques de cette eau fossile, les comparant ensuite au rapport isotopique de l’océan global actuel. Résultats : au Protérozo?que, l’hydrosphère était nettement appauvrie en 2H ou D (Deutérium). Durant le dernier milliard d’années, l’océan s’est donc enrichi en cet isotope de l’hydrogène.
Plusieurs mécanismes sont proposés pour expliquer l’enrichissement en deutérium de l’océan au cours des temps géologiques : l’addition d’eau provenant de poussières apportées par des comètes, ou la perte de 1H dans la haute atmosphère par photodissociation des molécules d’eau soumises au rayonnement ultraviolet. Cependant, ces deux processus expliquent difficilement la magnitude de l’enrichissement en 2H observé depuis le dernier milliard d’années compris entre 30‰ et 90‰. L’équipe franco-canadienne a alors proposé, sur la base de calculs, une autre explication.
Un nouveau scénario d’origine chimique
L’enrichissement des océans résulterait de la serpentinisation des roches ultramafiques, abondantes durant la période étudiée.
Il s’agit d’une réaction qui transforme l’eau (H2O) des océans en hydrogène moléculaire H2 au cours de l’oxydation du Fe2+ des silicates en Fe3+. Lors de cette réaction d’oxydo-réduction, les isotopes 1H et 2H s’échangent entre les molécules H2O et H2. Aux températures de réactions hydrothermales, entre 200°C et 500°C, le partage de ces isotopes favorise l’incorporation du deutérium 2H dans l’eau plut?t que dans H2. Les scientifiques ont montré que ce processus était cohérent avec un enrichissement des océans au cours des temps géologiques.
Cette étude aboutit donc à l’hypothèse d’un océan terrestre primitif caractérisé par une composition isotopique en isotopes stables de l’hydrogène différente de celle que nous connaissons aujourd’hui.
Pour en savoir plus
C. Lécuyer, F. Fourel, N. Blamey, U. Brand, P. Fralick. δ2H of water from fluid inclusions in Proterozoic halite: Evidence for a deuterium-depleted hydrosphere? Chemical Geology (2020)
Contact scientifique :
Christophe Lécuyer |06 76 87 30 28
christophe.lecuyer@univ-lyon1.fr
[1] Laboratoire de Géologie de Lyon - Terre, Planète, Environnement (LGL -TPE - Université Claude Bernard Lyon 1/ CNRS / ENS Lyon)
[2] Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés (LEHNA – Université Claude Bernard Lyon 1 / CNRS / ENTPE)