250 ans d’Ampère : rencontre avec Alain Aspect, prix Nobel de physique 2022
Jeudi 30 janvier, la communauté de l'Université Claude Bernard Lyon 1 a eu la chance d’accueillir et d'échanger avec Alain Aspect, lauréat du prix Nobel de Physique 2022 sur le campus LyonTech-la Doua, à l’occasion des 250 ans d’Ampère.
Pour la célébration internationale des 250 ans de la naissance d’André-Marie Ampère, ce physicien originaire de Lyon, l’Université Claude Bernard Lyon 1 a re?u Alain Aspect, prix Nobel de physique 2022 et l’un des parrains de l’événement. Lors de son programme de visite sur le campus LyonTech-la Doua, organisé par l’Institut Lumière Matière, il a notamment rencontré les doctorants et post-doctorants de l’association de Physique, découvert l’exposition dédiée à Ampère à la BU Sciences, et échangé avec les membres du p?le Wikipédia de l’UCBL.
Alain Aspect, prix Nobel de Physique 2022
Quel est votre sentiment au terme de cette visite ?
C’était une visite extrêmement enrichissante. Je n’ai plus aussi souvent l’occasion d’échanger avec des étudiants, donc discuter avec des doctorants, entendre leurs questions et réflexions, c’est toujours passionnant. J’ai aussi beaucoup apprécié l’exposition sur Ampère à la BU Science, d’autant plus que j’avais approfondi son ?uvre en préparation de cet événement. Enfin, j’ai été impressionné par le sérieux et la rigueur des membres du p?le Wikipédia de l’UCBL. Voir leur engagement militant pour défendre cet outil formidable était une belle découverte.
Quels sont vos liens avec la communauté scientifique UCBL ?
Mon sujet de recherche, l’optique quantique, a des liens étroits avec la physique atomique et moléculaire. J’entretiens donc des relations anciennes avec des membres de ce domaine, notamment à l’Institut Lumière Matière. Nous appartenons à la même communauté scientifique.
Vous êtes parrain de l’événement ? Les 250 ans d’Ampère. Demain un monde électrique ?. Quelle filiation voyez-vous entre Ampère et votre domaine de prédilection, la physique quantique ?
Ampère fait partie des premiers à insister sur la mathématisation des phénomènes physiques, notamment avec son ami Fresnel. Cette volonté de mathématiser la physique s’est ensuite développée au cours du XIXe et du XXe siècle. C’est en ce sens qu’on peut voir une filiation avec la physique moderne. Mais il faut aussi reconna?tre que la physique quantique marque une rupture complète par le fait que les mathématiques ne s’appliquent plus à la description d’objets dans un monde physique classique, mais dans des espaces abstraits. Il y a une filiation dans les idées, mais je pense qu’Ampère serait très surpris par les mathématiques de la physique quantique.
Feynman disait ? que si l’on croit comprendre la mécanique quantique, c’est qu’on ne la comprend pas ?. Malgré tout, qu’est-ce que l’on a compris de la physique quantique ?
D’abord, cette citation doit être comprise comme une sorte de provocation, ce qui faisait partie du personnage de Feynman. ? mon avis, il devait penser avoir compris la physique quantique. Ensuite, le terme ? comprendre ? est ambigu. Aujourd’hui, on maitrise bien l’usage de la physique quantique mais nous savons aussi où se situent les problèmes de la physique quantique. Par exemple, la question de la mesure, ou de la dualité onde-particule, qui restent encore sans véritable réponse. Pour autant, cela n’empêche pas d’utiliser le formalisme quantique sans aucune incertitude, malgré les problèmes d’interprétation que cela pose. Moi-même, j’applique à la physique quantique des images tirées de notre monde, en ayant conscience de leur caractère quelque peu auto-contradictoire, mais utiles à mon intuition. ? mon sens, tant que ces interprétations et ces images ne donnent pas lieu à des affirmations franchement fausses, libre à chacun de trouver son intuition scientifique comme il peut.
Est-ce cette intuition qui vous a mené à poursuivre pendant 10 ans l’expérience qui vous a valu la reconnaissance internationale ?
C’était avant tout un intérêt scientifique pour un sujet que je trouvais passionnant. Il y avait deux raisonnements impeccables dans la lignée du formalisme quantique, qui plus est proposés par des monstres sacrés de la science (Einstein et Bohr), mais qui aboutissaient à des conclusions différentes. En tant qu’expérimentateur, c’était excitant d’essayer de trancher cette question. Dans la mesure où j’étais passionné, que j’avais un poste et un salaire stable, je pouvais me permettre d’explorer ce sujet ce sujet. Le plus étonnant, c’est que je n’ai pas eu de concurrence dans le monde entier pendant toute cette période.
Se laisser guider par sa passion, vous en avez longuement parlé avec les doctorants ce matin…
Oui et j’ajouterai un point qui me semble essentiel. En tant que chercheur, si vous vous engagez dans un sujet jugé peu intéressant, vous devez savoir démontrer son intérêt et savoir convaincre vos interlocuteurs pour qu’ils vous suivent. Car on peut difficilement avancer dans la recherche seul contre tous. Dans mon cas, très vite les gens se sont laissés convaincre par l’intérêt de mon expérience, malgré leurs préjugés.
Concernant la formation étudiante, qu’est-ce qu’il vous semble essentiel pour aller vers la physique quantique ?
Selon moi, on ne peut pas faire de physique quantique sans mathématiques. Je pense qu’il y a eu un vrai problème avec la fa?on dont était enseignée la physique quantique autrefois. Personnellement, j’ai commencé à comprendre la physique quantique en réalisant qu’un état quantique est d’abord un objet mathématique. Sans cette approche, on reste trop superficiel. On devrait pouvoir adapter l’enseignement à chaque niveau en identifiant les mathématiques nécessaires à la description des phénomènes quantiques que l’on étudie. Et dès la première année de licence, je pense qu’on peut commencer à aller en ce sens.
Alain Aspect, en visite sur le campus LyonTech-la Doua
Visite de l'exposition ? Ampère en continu ? à la BU Sciences
Visite de l'éditathon (marathon de l’?dition wikipedia), organisé à la BU Sciences